Privilège blanc, Fragilité blanche, Regard blanc, Blanchité, Politique Identitaire,
Intersectionnalité, Décolonialisme, Appropriation Culturelle, Cancel Culture,
Call Out Culture, Trigger Warning, Safe Space, Equity, Diversity, Racisme
systémique, Ecriture inclusive, Féminisme radical, Théorie Critique (de la
Race)
Ceci est une sélection non-exhaustive de concepts et pratiques qui forment le corpus
d'une idéologie et de ses manifestations, d'origine américaine, qu'on voit
apparaitre depuis quelques années en France.
Cette idéologie généralement appelée “Woke” – mais qu’on pourrait nommer de
diverses façons, comme « néo-progressisme radical » - a pris racine vers la fin des années 1990 sur
les campus universitaires américains, mais elle découle directement de la
Philosophie Critique de l'Ecole de Francfort des années 1920, assaisonnée de
Constructivisme Social, le tout passé à la moulinette du Post Modernisme
français des années 1960-70, sous le nom de « French Theory » dans
les universités américaines à la même période.
La Philosophie Critique de l'Ecole de Francfort (Marcuse, Adorno, Horkeimer),
de référence Marxiste, se donnait pour but de changer radicalement l'approche
de la recherche universitaire, de la philosophie, et de l'étude de l'ensemble
des rapports sociaux, étendue à tous les champs de la vie: relations humaines,
langage, institutions sociales, structure familiale, pédagogie, genre, “race”.
Cette liste est éminemment importante pour la suite car elle explique beaucoup
de nos déboires actuels.
Le postulat était de rejeter la Raison, la rationalité, l'individu émancipé,
libre et responsable, la recherche de la vérité et plus globalement la vision
du monde proposée par la Philosophie des Lumières, cette dernière devant être
rejetée car considérée comme le produit de la classe dominante blanche
Européenne, et de remplacer le tout par une Théorie Critique de l'ensemble des
faits sociaux (voir liste du paragraphe précédent), ces derniers devant être
exclusivement envisagés – et il s’agit ici du point central pour comprendre ce
qui se joue aujourd’hui - comme l'expression de hiérarchies de pouvoir, de
domination et d'oppression exercées par un ou plusieurs groupes dominants et
oppresseurs sur des groupes dominés et opprimés. Autrement dit, l’individu
n’existe ici qu’en tant que membre-clone de son groupe, qu’il représente et qui
le représente.
Un passage par le Constructivisme Social a également permis de s'affranchir d’une certain nombre d’éléments de la rationalité et de la Nature, cette dernière devant être considérée, de manière axiomatique, comme une construction sociale au même titre que tout le reste, ce qui permet par exemple de s'affranchir de la biologie “naturelle” – car étant un autre produit de la classe dominante blanche Européenne - pour les questions de genre, et donc de permettre l'expression d'une créativité illimitée dans ce domaine (plus de 30 "genres" reconnus officiellement à New York aujourd’hui).
Il s'agit donc d'une idéologie qui s'appuie sur des postulats arbitraires et entend imposer l'abandon de l'analyse, de l'observation, de la méthode empirique et scientifique, qui avaient été adoptées et utilisées dans tout le monde occidental depuis les Lumières du XVIIIème siècle.
Il fallait donc, à l'inverse, refuser la recherche de la “vérité” par la
Raison, et imposer un engagement militant et radical de l'auteur dans l'objet
de son étude, dans le but de changer le monde de manière disruptive.
En d'autres termes, exit la neutralité et le recul du chercheur, toute
recherche devant d'abord passer par l'engagement militant dans l'objet étudié,
sans quoi ladite recherche doit être considérée comme inutile et non pertinente.
Après un passage à la moulinette du Post-Modernisme français dans la
deuxième moitié du XXème siècle, qui rajoute une couche de marxisme et d’anti
Lumières au tableau ébauché, la conjonction de ces trois piliers nous revient
depuis le début des années 2000 sous la forme du mouvement idéologique “Woke”
américain, diffusé par les Sciences Sociales et plus généralement les Sciences
Humaines, dont l’ambition est de rebattre toutes les cartes des différents
mouvements sociaux traditionnellement fondés sur l'Universalisme, anti-racisme
et féminisme au premier chef, et plus globalement d'imposer sa grille de
lecture “Woke” à l'ensemble des champs d'étude et de production de
connaissances, y compris les sciences dites “dures” comme les mathématiques.
Il existe aujourd’hui des ouvrages de Théorie Critique et de « décolonisation »
sur à peu près tout et n’importe quoi, le surf, les mathématiques, les sciences de l'éducation, la gastronomie (voir ici et là) etc.
Les manifestations de cette idéologie sont légion aux USA et au Canada depuis
une dizaine d’années et commencent à émerger en France, sans que personne ou
presque n’ait vu venir la vague et n’ait pris la juste mesure du phénomène à
ses débuts.
Cette bouillie idéologique prétendument “progressiste” et “de gauche” propose
donc la destruction des groupes sociaux à large échelle comme le groupe
national ou culturel, au profit d'une infinité de sous-groupes, minorités par
définition opprimées, aux caractéristiques fantasmées et uniformes, dans
lesquels l'individu émancipé des Lumières disparaît et se trouve fondu et
réduit à un ou plusieurs attributs prédéfinis censément représentatifs du
groupe: couleur de peau, ethnicité, religion, genre, "race" etc. (voir
à ce sujet l'excellente pièce de Tania de Montaigne “Assignation”). Il est donc
possible de créer une infinité de sous-groupes minoritaires, selon les besoins
des obsessions et névroses du temps.
Cette bouillie idéologique offre également des espaces de contradictions
internes intéressants.
Par exemple, la femme blanche fait partie de la classe des oppresseurs
“blancs”, mais étant femme, fait également partie de la classe des opprimés “femmes”.
Une femme non-blanche, elle, bénéficierait de “l'intersectionnalité”,
c'est à dire d'une forme de discrimination particulière à l'intersection des
discriminations entre blancs/non-blancs et entre hommes/femmes.
Dans la doxa "Woke", la valeur et la légitimité d'un individu et
de sa parole se mesurent en quelque sorte à son “score” d'intersectionnalité.
La parole d'une femme blanche ne serait donc prise au sérieux que modérément,
du fait de son appartenance à la seule catégorie opprimée “femme”, contrebalancée
négativement par la tare ontologique que représente le fait d'être “blanche”,
alors que celle d'une femme non-blanche lesbienne ou transgenre bénéficierait
d'une bien plus grande légitimité aux yeux des militants « woke ».
A l'inverse, un homme, blanc, d'âge moyen, hétérosexuel et gagnant
raisonnablement bien sa vie se voit attribuer un empilement de tares, par
essence porteuses d'un niveau général d'oppression égal à l'addition de
l'oppression individuelle découlant de chaque sous-groupe qui le compose: homme
+ blanc + hétérosexuel + classe moyenne quarantenaire + en position de
« domination » professionnelle.
L'incarnation du mal absolu donc.
Le but ultime étant de nier l'individu pour le réduire à un simple clone
fantasmé de son groupe ethnique, sexuel, social, “racial”, etc, à des
caractéristiques déclarées comme homogènes et représentatives de chaque
sous-groupe de “dominants” ou de “dominés”.
Le but est également de convaincre la société que toute interaction humaine est
racisme, sexisme, domination ou offense, partout et tout le temps, y compris ce
qui ne l’est pas mais qu'il est impératif d'interpréter comme tel, grâce aux
théories Post-Modernistes et de Théorie Critique qui affirment, pour faire
simple, que la « vérité » ou la "réalité" - inventions d'hommes
bourgeois blancs dominants - n’existent pas, que tout n’est qu’infinité de
représentations subjectives de validité égale, que toute interaction humaine
est encore une fois, et de façon axiomatique donc par essence irréfutable, contaminée
par du « systémique » ; racisme, sexisme, xyz-phobies, etc.
L'expression du racisme ou du sexisme ne repose donc plus sur l'observation et
la caractérisation objectives des actes ou des mots racistes et sexistes, mais
sur le ressenti personnel, ce qui permet de tout interpréter à sens unique pour
que l'intention supposée et attribuée aux actes et aux mots corresponde à cette
vision de monde, qu'il faut imposer à soi-même et aux autres.
C’est, en somme, un retour à l’essentialisation des individus, leur réduction
et leur assignation à un groupe prétendument figé et immuable, base idéologique
des mouvements racialistes du XIXème siècle, des fascismes et des
totalitarismes du XXème siècle, qui permet entre autres abominations
intellectuelles, d’enfermer les individus dans une culpabilité de groupe ou une
victimisation de groupe, selon le côté de la barrière où l’on se trouve placé,
et de créer des « ennemis » facilement identifiables.
Le danger corollaire de cette idéologie est de produire chez ses représentants
un sentiment de supériorité morale quasiment mystique, fondé sur des certitudes
péremptoires qui créent une vision du monde simpliste et binaire, définitive et
non-négociable : soit vous admettez et adoptez la validité de ces théories
et vous êtes dans le camp du bien, soit vous êtes en désaccord, ne serait-ce
qu’avec un seul élément, et vous êtes frappé d’infamie et d’excommunication
morale à vie, en étant au passage affublé de qualificatifs injurieux et
diffamatoires: nazi, extrême-droite, fasciste, sexiste, xyz-phobe, etc.
Les exemples en sont légion sur les réseaux sociaux, où les campagnes de
dénigrement, d'intimidation, de menaces, de destruction d'image et de
carrières, d'injonction au renvoi de professeurs, de réduction au silence,
d'effacement, d'annulation, (manifestations de ce qu'on appelle communément
"cancel culture") n'ont pas grand-chose à envier dans leurs méthodes
aux Gardes Rouges de la révolution Culturelle chinoise, aux fascistes du siècle
dernier, aux procès Staliniens ou à ceux de l'Inquisition.
Tout cela au nom du progrès social, ne l'oublions pas.
Bien évidemment, pour les militants « wokes » et leurs alliés, le « wokisme »
et la "cancel culture" n'existent pas, et seraient, sans surprise,
une construction servant d'homme de paille au camp du mal - les dominants, la
droite réactionnaire et fasciste, c'est à dire tous ceux qui ne sont pas
d'accord avec eux - pour perpétuer sa domination, son racisme, son sexisme, son
patriarcat, ses privilèges, et discréditer le camp du bien, les
"vrais" progressistes (les militants « woke » donc, d'après
eux-mêmes).
Les parades dialectiques utilisées évoluent avec les temps, à mesure que les
anticorps à cette contamination idéologique se mettent en branle. Il nous a d’abord
été expliqué que « woke » n’existait pas, puis qu’en fait si, « woke »
existait bel et bien mais qu’il désignait tout autre chose que ce qu’en disent
ses opposants et détracteurs.
Bien entendu, le terme existe depuis plusieurs décennies aux Etats-Unis et désignait originellement (dans les années 1960) le
fait d’être « éveillé » aux injustices et discriminations et la prise
de conscience sociale qui en découlait.
Et c’est là que se situe l’arnaque intellectuelle des prédicateurs idéologues
actuels du mouvement, car si les intentions de départ sont évidemment louables
et fondées sur des réalités incontestables dans l’Amérique des années 60 et 70,
les manifestations de son rejeton moderne n’ont plus grand-chose à voir avec les
slogans officiels.
Nous sommes en effet bien loin du combat salutaire et progressiste pour l’égalité
et le développement d’une société apaisée et débarrassée de ses passions
tristes.
Ce que nous proposent les penseurs actuels de ce mouvement réactive au
contraire les passions tristes, tel Ibrahim X Kendy qui professe la nécessité d’appliquer
aujourd'hui une discrimination inversée pour réparer les discriminations du passé.
Cette vision du monde appliquée à l’antiracisme ou au féminisme pervertit les
valeurs fondatrices des mouvements originels, en se focalisant non-pas sur une
dynamique de dialogue, de convergence et d'unité, mais sur la fragmentation, la
division et le rejet, alimentés par le ressentiment de chaque
« tribu » envers ses ennemis identifiés, dans une sorte de
« féodalisation » des esprits : les noirs contre les blancs, les
femmes contre les hommes, les non-genrés contre les hétéros (qualifiés de « cis-genre »
dans le verbiage militant), etc.
Les nouveaux mouvements de lutte sociale ne cherchent donc plus à
regrouper les individus de bonne volonté autour d'un combat commun qui
bénéficierait à tous, mais se fractionnent volontairement en donjons isolés,
chacun bataillant pour sa coterie exclusive contre leurs ennemis déclarés. En
pratique, cela donne le néo-féminisme à l'américaine dans lequel les femmes
"afro-américaines" rejettent les femmes "blanches" dans la
lutte féministe parce que blanches, les militants LGBT rejettent les
associations LGBT police parce que composées de policiers, donc d’ennemis
agents du « système », comme on l'a vu en France récemment, etc.
Tout se construit, finalement, sur le dénominateur le plus exclusif et le plus
excluant, malgré les slogans invoquant la justice, l'égalité et le respect.
Les prophètes américains de cette idéologie, comme Kimberlé Crenshaw, Peggy
McIntosh ou Robin Di Angelo et Ibram X Kendi plus récemment, assènent par
exemple, en vertu de cette vision du monde, que l’homme blanc occidental porte
en lui la souillure indélébile de l'esclavage, du racisme et du sexisme, qu’il
en est l'unique représentant et acteur conscient ou inconscient, même s’il s’en
défend, et qu’il l’est d’autant plus s'il persiste à refuser cette évidence.
Autrement dit, vous les anti-racistes et féministes universalistes blancs qui
avez mené les combats du XXème siècle ignoriez être d'horribles racistes et
sexistes, mais vous l'êtes d'autant plus si vous refusez de l'admettre, car votre
refus ne fait que démontrer plus encore votre culpabilité, grâce par exemple à la
"Fragilité Blanche", un concept inventé récemment par R. di Angelo
pour répondre plus facilement à la contradiction, qui enferme l'accusé dans une
boucle perverse qui se referme sur lui et dont il ne peut sortir. Vos
accusateurs se sont donné tous les outils dialectiques sur mesure pour vous
piéger et ne jamais être eux-mêmes pris en défaut.
Quoi qu'il arrive, vous êtes perdant, car blanc. Votre "être"
individuel ne compte pour rien, ne vaut rien.
A titre d’illustration, on pourra citer le cas de l’université d’Evergreen en
2016. Documentaire ici.
Plus récemment, un lycée australien ayant demandé à l’ensemble de ses élèves
masculins de se lever et de baisser les yeux en s’excusant d’être des garçons,
on repentance d’agressions sexuelles survenues dans le pays. Lien ici.
Ou encore le cas d’un autre lycée, américain celui-ci, proposant d'utiliser un
manuel de formation « décolonial » pour les enseignants en maths ,
visant à enseigner les maths sans « racisme systémique », et qui affirme
que le fait de relever ou corriger les erreurs des élèves serait l’expression
d’une « suprématie blanche », ou encore qui désapprouve le fait qu’il
ne puisse y avoir qu’un seul résultat à un problème mathématique, puisque les
mathématiques modernes sont l’œuvre de l'homme blanc oppresseur occidental.
Lien ici.
Encore et toujours, des pièces de théâtre offrant des représentations uniquement ouvertes aux noirs pour les faire communier avec des gens "qui leur ressemblent" en les préservant du "regard blanc", et s'assurer qu'ils se sentent "en sécurité". Lien ici
Prendre le temps de parcourir l'internet permet de découvrir des centaines de
cas similaires, dont l'augmentation est exponentielle dans l'ensemble du monde
occidental, et significative en France ces deux dernières années.
En France, des journaux, associations, partis politiques et syndicats ont
déjà été plus ou moins largement noyautés. Leurs représentants défilent
régulièrement sur les plateaux télé et dans la presse, sans compter les
milliers de Social Justice Warriors (Guerrier de la Justice Sociale), militants
défenseurs auto-proclamés de la seule et unique pureté morale, qui chassent en
meute et déversent quotidiennement leurs injures et leurs anathèmes sur les
réseaux sociaux, ces égouts dans lesquels s'écoulent les ressentiments et la
haine du monde.
Au nom du progrès social, bien entendu.