Alors que l’on assiste à une résurgence des nationalismes un peu partout sur la
planète, Royaume-Uni, USA, Russie, Chine, Inde, résurgence qui pointe un
délitement des dynamiques d’entente et de coopération internationales, on voit
monter un peu partout également et depuis quelques années une forme de nationalisme intra-national d'origine américaine, fractionné à l’intérieur même
des nations démocratiques occidentales.
D’un côté, des états réhabilitent les discours de roman national proposant le repli sur soi et le rejet de l’autre dans son bloc national et alimentent
des tensions parfois encore superficielles mais tangibles, d’autant plus que
le système « d’Etat de Droit » supranational que sont les
Nations-Unies semblent manquer d'efficacité à les maîtriser.
Dans le même temps, des mouvements internes aux sociétés occidentales visent à la
fragmentation du corps social en une multitude d’îlots de nature tribale,
crispés sur des réactions de récrimination et de ressentiment à l’endroit d’un
ennemi expiatoire largement fantasmé, réactions qui semblent rappeler fortement
le mécanisme des nationalismes traditionnels.
La différence entre ces deux dynamiques étant que l’une, le nationalisme
« national », n’affiche aucune intention de tendre vers le bonheur commun
et universel, y compris au sein de son propre bloc national (puisqu’il faut
d’une part éliminer l’ennemi de l’intérieur et d’autre part s’opposer à
l’ennemi de l’extérieur), contrairement à l’autre, nationalisme
« intra-national », dont les intentions, sinon prétentions « progressistes »
constituent un slogan axiomatique clairement affiché.
De même que les nations se crispent sur leur identité nationale, fantasmée par
opposition à un « autre » et coupable de divers maux et fautes plus ou
moins anciens, ce mouvement à caractère intra-national est en train de produire
les mêmes effets au sein des sociétés constituées occidentales, raisonnablement
homogènes et apaisées aujourd’hui et fondées sur des principes tels que l’Etat
de Droit ou la « République une et indivisible ».
Ces nouveaux
« progressistes » travaillent en effet à la
« divisibilité » de nos sociétés et menacent leur cohésion,
paradoxalement au nom du bien. Si les arguments du nationalisme « national »
sont connus et ne prêtent à aucune confusion quant à leurs objectifs – flatter
l’orgueil national par l’incantation et l’expression décomplexée de messages
agressifs voire haineux envers une ou plusieurs nations « autres »,
l’obsession de la présence d’un ennemi intérieur ou extérieur dont la menace
serait permanente et potentiellement ancestrale, le refus du dialogue et la
volonté assumée du rejet et du replis sur son groupe exclusif fondés sur des
différences ontologiques irréconciliables - les arguments des nouveaux « progressistes »
ont de quoi laisser perplexe tant ils empruntent à cette dialectique.
La société et l’Etat de Droit intra-national se trouvent aujourd'hui mis en difficulté par
des pressions d’ordre identitaires qui leur sont hostiles et même contradictoires,
par ceux-là mêmes qu’on attendrait œuvrer pour le bien commun, le dialogue,
l’apaisement, la cohésion, le rassemblement autour de valeurs communes
unificatrices, ou simplement le désir de briser les tabous et dissiper les malentendus entre les individus. A l’inverse, ils œuvrent à la disparition du sentiment
d’appartenance au groupe large, comme peut l’être le groupe national ou
culturel, pour le fragmenter en une constellation grandissante de tribus restrictives et exclusives : les
hommes, les femmes, les blancs, les noirs, les hétérosexuels, les homosexuels,
les trans et toutes les autres « tribus » qu’il leur reste à inventer.
Nous assistons en quelque sorte à l’émergence d’un hybride improbable entre le
nationalisme et le féodalisme social, entreprise de morcellement chaotique et vindicatif sinon revanchard, dont les effets ne pourraient être plus diamétralement opposés aux intentions affichées, et dont on se
demande bien comment il pourrait nous conduire vers le bonheur social.
Nouvelle publication décoloniale, " Universalisme", par Julien Suaudeau et Mame-Fatou Niang, collection « Le mot est faible », Anamosa, 2022. Au milieu de déclarations pertinentes et d'intentions affichées de ne point y toucher, les citations, disponibles ici , montrent pourtant un étalage assez exhaustif de l'arsenal sémantique et discursif de la proposition du "wokisme", qui n'existe pas, et que nous pourrons appeler "néo-progressisme" ou "post-progressisme", puisqu'il faut bien trouver un substantif qui satisfasse ses représentants et éviter autant que possible les querelles stériles et inutiles sur l'étiquette à accoler au produit, qui, lui, ne change pas de nature et c'est bien sa nature qui pose problème. Revue de détail non-exhaustive: " universaliser est un verbe transitif, comme coloniser. Il établit un rapport de domination entre le sujet universalisant et l’objet sauvage à universaliser, coloniser, civil