Dans un récent article publié sur le site
Slate, L. Sagalovitsch s’inquiétait du retour de bâton que finiraient inévitablement
par provoquer les outrances du wokisme.
Pour lui qui « …partage la plupart des causes défendues… »,
mais « ne goûte guère l'idéologie ambiante dominée par cette obsession
quasi-maladive de tout entrevoir sous le prisme des minorités à défendre,
qu'elles fussent culturelles ou sexuelles, … les moyens employés
sont si excessifs, autoritaires, parfois mêmes dictatoriaux que j'en viens par
un renversement de valeurs à me détourner d'eux. »
Ses yeux sont donc grands ouverts, encore que, on pourrait s'étonner d'une prise de conscience un peu tardive et on remarque qu'il n'y a pas réellement de remise en question de l'idéologie sur le fond, uniquement sur sa forme.
Ceci dit, après un début encourageant, la déception arrive par le truchement d’une
petite musique de fond agaçante, empreinte de condescendance.
En effet, les manifestations délirantes du néo-progressisme, dont il fait le catalogue de façon assez exhaustive et lucide, ne pourront, selon lui, « avoir comme résultat que de braquer toute une partie de la population au point de l'amener à épouser les causes et les combats d'extrême droite. »
« Mais je sais que chez moi ces sentiments-là ne déboucheront sur rien d'autre qu'un simple haussement d'épaules, un long soupir qui se résumera à lui-même. »
Nous voilà rassurés sur son sort, moins sur le nôtre.
L’alternative dessinée ici reprend exactement celle que le militantisme woke
entend imposer à tous ses contradicteurs :
si vous rejetez notre
progressisme, le camp du bien, alors vous ne pouvez appartenir qu’au camp de la
réaction d’extrême droite, le camp du mal.
Dit autrement, pour M. Sagalovitsch, nous ne sommes que des enfants, esclaves de nos passions et incapables de raison et de discernement.
Confrontés à une idéologie extrême et délirante, il n’y aurait donc point d’autre
chemin pour nous que celui de l’idéologie extrême et délirante d’en face, point
d’autre alternative que de se constituer otages de l’une ou de l’autre.
Comment s'étonner, dès lors, que les bonnes volontés se trouvent aliénées par une telle proposition ?
L'idéologie délirante woke reste une idéologie délirante, qu'on soit de gauche ou de droite,
catholique ou bouddhiste, végétarien ou carnivore, plombier ou pilote de
ligne, homme ou femme. Il n'y a que les extrémistes pour être convaincus que leurs idéologies sont formidables, des deux cotés de la même médaille totalitaire.
Je veux bien croire que, à force de se voir cracher au visage des tombereaux d’injures et de qualificatifs infamants, certains pourraient être tentés par la réaction et le repli sur des positions, disons, conservatrices, ou pire dans les cas les plus désespérés, mais pour la majorité, c’est faire bien peu de cas de l’intelligence et des aspirations des français.
Il n’est pas nécessaire de rappeler qu’un partisan d’extrême droite véritable ne pourra
être qu’ulcéré par le discours woke, c’est l’évidence même. Ses convictions préexistantes ne s'en trouveront que renforcées.
Mais quid de tous les
autres, de ceux qui ne souscrivent ni à un Zemmour, ni au wokisme, et qui n'entendent pas se laisser sommer de choisir entre l’un et l’autre ?
Les raisonnables, les modérés, les gens de bonne volonté, les humanistes, les véritables progressistes sont toujours absents du tableau dressé lorsqu’il est question de ces sujets, quand ils ne sont pas simplement jetés dans la fange du "fascisme" par les nouveaux inquisiteurs de la pureté morale.
Et pourtant nous sommes bien là, et las de voir une polarisation débilitante s’emparer des esprits, la "binarisation" de tout, la victoire du simplisme et la mort de la pensée complexe, l’injonction à un positionnement totalitaire, pour ou contre, tout ou rien, être un déconstruit ou un horrible agent du patriarcat, un pur immaculé ou un salaud définitif, un dévot à l’orthodoxie ou un ennemi, un traitre à abattre, Sartre ou un « chien ».
Rouge ou brun, choisis ton camp camarade ? Non merci.